ALLOCUTION DE M. LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
Remise du rapport Larcher sur les missions de l'hôpital
Palais de l’Élysée – Jeudi 10 avril 2008
Madame la Ministre,
Monsieur le Ministre,
Mesdames, Messieurs,
Six mois se sont écoulés depuis l’installation de votre commission. Pendant
ces six mois, vous avez
écouté, beaucoup écouté. Je crois que vous avez réalisé plus de 200
auditions. Vous avez mené une
concertation approfondie avec les acteurs de l’hospitalisation publique et
privée et leur environnement.
Et Dieu sait si votre environnement est important.
Les propositions faites par votre commission sont donc le fruit d’un dialogue
soutenu. Tous les points
de vue ont pu s’exprimer à Paris et dans les régions. Tous les sujets ont pu
être débattus sans tabou.
Vous avez analysé la situation de l’hôpital public avec lucidité. Le rôle
des cliniques privées a été
considéré sans arrière-pensée. Et les propositions que vous nous soumettez
aujourd’hui résultent d’un
travail collégial au sein de votre commission. Toutes les sensibilités qui y
étaient représentées ont
contribué aux propositions. Que chacune et chacun d’entre vous soient sincèrement
remerciés. C’est
une oeuvre utile pas pour l’exécutif, c’est une oeuvre utile pour notre
pays.
C’est donc un rapport de grande qualité, cher Gérard, que tu nous remets
aujourd’hui. Je salue le travail
de la commission. J’ai une pensée particulière pour le Professeur Gérard
CATHELINEAU, membre de
votre commission, décédé brutalement le 15 novembre 2007.
Vous avez fait du patient et de ses attentes le coeur de vos propositions.
Le parcours du patient entre la ville et l’hôpital, ou entre l’hôpital et
les structures de prise en charge du
handicap ou du grand âge, n’est pas coordonné. On pourrait même dire tout
simplement qu’il n’est pas
géré.
Vous savez ces questions d’hôpital me passionnent depuis bien longtemps,
j’ai moi-même été vingt ans
Président du Conseil d’administration d’un centre hospitalier et j’ai même
conduit la plus importante
fusion jamais réalisée en Ile-de-France puis, celle des hôpitaux de Puteaux,
de Courbevoie et Neuilly.
Ce sont des questions qui m’intéressent.
La proposition que vous faites sur la régulation unique de la permanence des
soins et des urgences est,
à mon sens, incontournable. Vous soulignez le rôle que jouent les hôpitaux
locaux dans l’offre de soins
de premier recours en étroite collaboration avec les médecins généralistes
qu’il faut sortir de cette
opposition, et je partage pleinement votre point de vue, qu’il y a des maisons
de médecins libéraux qui
peuvent rendre un service public. Ce n’est pas parce qu’ils sont libéraux
qu’ils ne rendent pas un
service public.
Plus fondamentalement, quand vous dîtes que l’hôpital ne s’est pas encore
adapté au vieillissement de
la population et à l’explosion des maladies chroniques qu’il entraîne,
vous soulignez qu’il y a 15
millions de personnes en France qui sont concernées. Ce n’est pas tout à
fait rien.
Il ne s’agit nullement de faire le procès de l’hôpital. Il s’agit
simplement de lui donner les outils pour
qu’il prenne ce virage avant qu’il ne soit trop tard. L’immobilisme tuera
l’hôpital. Il en va de la qualité
de la prestation qu’il offre à chacun d’entre nous.
L’hôpital devra redéployer ses moyens vers la prise en charge du handicap et
du grand âge. L’hôpital
doit prendre sa part de la réponse aux évolutions de la démographie.
Roselyne, c’est à la fois un problème et une opportunité parce que ce sera
différent de ce que nous
avons fait pour la carte judiciaire où j’ai demandé que l’on ferme 20 à
25% des établissements. Fort
heureusement pour l’hôpital, on a cette transformation. C’est à la fois un
problème et, en même temps,
une opportunité. Il y a toujours des gens qui considèrent que c’est déchoir
que de passer à autre chose.
Moi, je déteste cette expression active comme si ceux qui sont en moyen ou en
long séjour ne sont pas
actifs.
Je souhaite que les communautés hospitalières de territoire, dont vous
proposez la mise en place, jouent
un rôle moteur dans ces recompositions. J’en attends des améliorations
tangibles du service pour le
patient : moins d’attente aux urgences, une prise en charge plus rapide de
l’accident vasculaire
cérébral.
L’autre caractéristique de votre rapport, c’est l’attachement aux
missions du service public hospitalier.
L’hôpital est l’un des services publics auxquels les Français tiennent le
plus. Nous avons de quoi nous
enorgueillir de nos hôpitaux qui soignent toutes les maladies du monde sans
discrimination.
Je ne serai pas celui qui dévalorisera l’hôpital. Je veux au contraire être
celui qui le modernise, c’est un
atout formidable pour notre pays. Je veux d’ailleurs que l’on rende
davantage hommage aux personnels
hospitaliers et je n’ignore rien du malaise qui est le leur.
Vous montrez à quelles conditions un nouveau souffle, une pérennité nouvelle
pourront être donnés au
service public hospitalier.
Il nous faut une organisation clarifiée. L’hôpital a besoin d’un patron.
Je crois même avoir utilisé cette
expression lorsque j’étais à Bordeaux. Dire cela ne revient pas à ignorer
qu’il y a une double légitimité
à l’hôpital - le manager et le médecin. Mais en fin de compte, la décision
doit être prise par le directeur
dont vous proposez de faire le président du directoire. Le président de la
commission médicale
d’établissement en serait le vice-président. Les mots ne me choquent pas.
A l’hôpital, tout le monde a suffisamment de pouvoir pour dire non. Personne
n’a assez de pouvoir
pour assumer un oui. Je suis prêt à rentrer dans les détails parce qu’il
n’y a pas que le directeur et le
président de la commission médicale, de la CME. Il y a les syndicats,
l’assurance maladie, les élus
locaux, les rivalités entre médecins et entre services. Si, cela existe, en
tout cas, dans celui que j’ai
présidé cela existait. Je vous le garantis. On n’a pas dû connaître les mêmes,
alors.
Ne sont pas des rivalités méchantes mais quand il y a un peu
d’investissement à se partager, il y a
naturellement une rivalité et puis il y a les durées moyennes de séjour, les
taux de remplissage, en
même temps il est difficile de garder de l’obstétrique sans garder de la
chirurgie, même à l’intérieur de
certains services entre la chirurgie orthopédique, la chirurgie viscérale, il
y a parfois des débats.
Vous suggérez également de centrer le conseil d’administration sur une
mission de contrôle en en
faisant un conseil de surveillance avec un président élu. Cela conduit à redéfinir
le rôle du maire dans
les instances de l’hôpital. C’est un sujet très difficile, je suis assez
d’accord.
Il y a des maires qui se moquent complètement de l’hôpital, il y en a
d’autres qui s’y passionnent. Pour
certains l’hôpital n’est qu’un employeur et non pas un endroit en
dispense des soins. En même temps,
ne pas mettre le maire dans le coup, c’est embêtant, parce que c'est le seul
qui a une vision d'ensemble
des services publics sur sa commune et avec qui l'on peut négocier des
contreparties.
Vous nous dites que l’organisation -la gouvernance- n’y suffira pas et je
vous donne entièrement
raison. Au demeurant, les travaux de votre commission nous rappellent
l’essentiel : que chaque hôpital
puisse s’organiser comme il l’entend. C'est le problème français, on croit
que l'égalité c'est l'unicité,
c'est l'uniformité.
C’est la raison pour laquelle vous proposez de donner à l’hôpital public
un statut ad hoc qui
consacrerait cette liberté d’organisation. Ce statut spécifique autoriserait
des souplesses de gestion.
Moi je suis d'accord.
Les médecins se verraient offrir des cadres d’exercice plus souples et plus
valorisants. Outre le statut
actuel, le cadre statutaire serait aménagé pour offrir une rémunération
tenant compte de l’activité, c'est
une révolution. Allez, on y va, moi aussi je me sens très révolutionnaire.
Enfin écoutez, on continue à
payer des médecins qui ne mettent plus les pieds à l'hôpital et n'ont plus
d'activité, qui multiplient
conférences, débats, et voyages –enfin dans celui que j'ai connu, en tout
cas- et des médecins qui se
battent, qui font de l'activité, qui font tourner l'hôpital., sans qu'à aucun
moment il y ait une valorisation
différenciée. Par ailleurs, un cadre contractuel unique, relevant du droit du
travail, serait créé. Ces deux
cadres d’exercice nouveaux seraient accessibles par les médecins sur option.
Je crois que ces deux propositions -statut ad hoc et nouveaux cadres
d’exercice pour les médecins- sont
fondamentales. J’y vois même le ferment de la renaissance de l’hôpital
public. Ces deux mesures sont
susceptibles de rendre l’hôpital plus performant. Et nous aurons besoin
d’agences régionales de santé
dotées des compétences nécessaires pour contrôler les engagements pris par
les établissements en
matière de performance. Il faudra voir qui les présidera ? Moi je dis, faites
très attention à ne pas créer
une nouvelle administration si les Préfets de région n'ont pas un rôle
essentiel. Le Préfet, il est quand
même compétent pour définir une carte hospitalière ! Si l'on se crée un
nouveau Préfet sanitaire, on va
avoir des bagarres entre les deux. Et l'incapacité à négocier des
contreparties. On en discutera, mais,
elles nous ont un peu déçu les agences dans leur bilan. Parce qu'elles
devaient porter le ferment de la
recomposition, elles n'ont rien porté du tout, pas toutes, mais il y en a quand
même beaucoup qui se
sont trouvées frileuses.
La primauté des missions de service public se lit enfin dans vos propositions
relatives à
l’hospitalisation privée. Elle a en France un poids sans équivalent
ailleurs. Elle représente près des
deux tiers de la chirurgie. Vous proposez de formaliser la participation des
cliniques privées aux
missions de service public au travers d’un contrat avec l’ARS. Vous avez
raison, c'est de bon sens.
Je souscris à cette proposition si elle permet de garantir un meilleur accès
aux soins, qu’il s’agisse des
urgences ou des dépassements d’honoraires. Je sais que ce n’est pas pour
alourdir le fonctionnement
des cliniques privées mais pour reconnaître leur utilité en termes de service
public.
Au fond, quoi de plus évident ? Le service public, ce n’est pas un statut,
c’est l’exercice d’une mission.
Je m’arrêterai là dans la revue de vos propositions. Il y en a d’autres
qui auraient mérité mention. J’ai
retenu les plus saillantes.
Je souhaite que l’ensemble du rapport établi par votre commission nous
permette d’engager une
recomposition hospitalière ambitieuse. Cette recomposition permettra la
reconversion de certains sites.
Il faudra en évaluer les conséquences en termes de gestion de l’emploi et
des compétences.
Par ailleurs, votre rapport doit nous aider à définir les modalités du retour
à l’équilibre des hôpitaux
publics d’ici à 2012. Il doit se passer quelque chose.
J’aurai l’occasion, au cours d’un prochain déplacement, de revenir sur
vos propositions, de tracer les
grandes orientations de la réforme de l’hôpital. Celle-ci, chère Roselyne,
devra être définie dans la
concertation. Les principales mesures qui seront retenues s’insèreront dans
un texte législatif que tu
porteras avant la fin de l’année.
J'espère que vous avez compris une chose : la réforme de l'hôpital, je la
conduirai. Quand je dis je, je
l'assumerai, vous comprenez bien, cette fois-ci l'on ne passera pas à côté de
l'hôpital. Voilà, je veux
vraiment que chacun en soit convaincu, quelles que soient les oppositions, je
n'ai pas le choix, j'ai été
élu pour réformer. L'hôpital a été le grand oublié de toutes ces dernières
années, pour une raison qui est
très simple, c'est le plus difficile. C'est justement parce que c'est difficile
qu'on va le faire. Et que je
vous remercie. Mais que personne ne pense que ce travail c'est un aimable
rapport de plus, parce que je
pense qu'il serait déçu. Je vais en tenir compte.
Surtout, il faut que chacun comprenne, on n'a pas le choix. On n'a pas le choix
parce que il y a des
impacts financiers immenses, on n'a pas le choix parce qu'il y a un malaise
immense. En fait, on n'a pas
le choix au fond, c'est parce que les Français ont une attente immense à
l'endroit de l'hôpital. Attente,
malaise, gouffre financier, rajoutez le vieillissement en plus, on a la totale,
il serait irresponsable. En
plus, Roselyne, on va faire cela, mais il faut que tu prévoies dans la réforme,
que si l'on se trompe, on
puisse modifier et revenir dessus tranquillement. Moi je ne crois pas à la réforme
immobile et
définitive. Vous voyez ce que je veux dire ?
C'est monstrueux cette réforme, c'est immense, on l'a fait, on y va
franchement, mais on n'hésitera pas à
revenir sur certains points si l'on s'est trompé, ou si c'est insuffisant, ou
si il y a quelque chose qui n'a
pas fonctionné. Il faut arrêter avec ce truc, on se bat à mort avant, et on
n'oublie à mort après. Il y a un
problème en France qui n'est pas simplement de la volonté de la réforme, qui
est aussi du pilotage de la
réforme, ce qui dédramatise les choses. Ce n'est pas un drame de revenir sur
un, deux, trois, quatre
points d'une réforme, parce que l'on s'aperçoit que l'on s'est trompé, que ce
n'est pas adapté, qu'il y a
une difficulté, qu'il faut bouger et qu'il faut faire autrement.
Je vous proposerais volontiers que lorsqu'on avancera sur le texte, votre groupe
soit toujours constitué
pour être consulté pour évaluer, pour nous aider de façon à ce que cette réforme
vous l'accompagniez
avec nous.
Voilà, je vous remercie infiniment, et j'aurai l'occasion de vous revoir et je
vous dis combien votre
travail nous sera précieux.