Le Dr Mohamadou
Baldé : psychiatre libéral après un parcours de combattant
Le Dr Baldé,
sénégalais d'origine, est l'un des premiers médecins étrangers à avoir
tenté l'aventure de la médecine libérale. Après quinze ans de pratique
hospitalière, ce psychiatre exerce seul en cabinet depuis deux ans. Très
vite, il s'est fait une réputation, son agenda aujourd'hui est plein. Ce qui
ne lui fait pas oublier le « parcours du combattant » qui a précédé
son installation.
Le
Dr Mohamadou Baldé se décrit
volontiers comme « un homme et un médecin comblé ». « Et
chanceux », ajoute-t-il. Après quinze ans d'exercice en milieu
hospitalier, à Dakar et en banlieue parisienne, ce Sénégalais n'en revient
toujours pas d'avoir obtenu l'autorisation, en 2001, de visser sa plaque de
psychiatre dans le centre d'Ermont, une ville résidentielle du Val-d'Oise (95).
« A ma grande
surprise, j'ai été très bien accueilli en ville, tant par les confrères et
les patients que par le Conseil de l'Ordre, le maire et le préfet qui m'ont délivré
les autorisations nécessaires »,
dit-il. Cette chance, il ne l'avait pas rencontrée au Sénégal, où
il a reçu sa formation initiale. Après avoir effectué la seconde moitié de
son internat, en tant qu'étudiant étranger, à l'hôpital Saint-Anne, à
Paris, le Dr Baldé, de retour au pays, a tout tenté pour y trouver un
poste. En vain. En raison d'une conjoncture politico-économique défavorable,
le praticien a galéré deux bonnes années, partageant son temps entre l'hôpital
de Dakar - où il exerçait sans salaire, sans statut, sans contrat -,
et une école où il enseignait la psychiatrie pour gagner sa croûte. « Venant
d'une famille modeste, je n'avais pas le bras long pour obtenir un poste. Après
tant d'années d'études, je ne tolérais plus d'être dépendant de mes
proches. C'est ça qui a motivé mon retour en France. »
De 1991 à 1998, le Dr Baldé est médecin attaché assistant, puis
assistant en psychiatrie, dans deux hôpitaux du Val-d'Oise. L'occasion pour
lui de mieux cerner certaines pathologies très rares en Afrique, comme les
troubles des conduites alimentaires.
Parallèlement, le Sénégalais se bat pour amener sa famille en France. Un
souvenir pénible : « Mes enfants n'ont été autorisés à
fouler le sol français qu'en 1996. » Il milite aussi pour que soit
reconnu le statut des médecins étrangers (le Dr Baldé
est un des cofondateurs du SNPAC et son ancien secrétaire général).
En 1998, il fait partie du premier contingent à passer les épreuves
nationales d'aptitude à la fonction de PAC : « On se posait
mille questions, se souvient-il. J'étais inquiet à l'idée d'être
saqué, mais, non, j'ai eu l'examen du premier coup. Une immense joie. »
L'installation en secteur libéral, qui le met sur le même pied d'égalité
que les médecins français, constitue à ses yeux « l'aboutissement
de cette lutte ». Un pas qu'il a été l'un des premiers à
franchir, en 2001. La reconnaissance de son diplôme de spécialiste en poche,
le Dr Baldé se lance alors dans ce qu'il nomme aujourd'hui « le
parcours du combattant ». Une seule certitude au départ : « Je
voulais rester près d'Eaubonne afin de collaborer avec l'hôpital que je
venais de quitter. » Passé ce choix, il a fallu affronter un autre
dilemme de taille : s'associer, reprendre une clientèle, ou créer un
cabinet ? Le Dr Baldé a opté pour la dernière solution, « après
bien des hésitations et des angoisses ». Partant de zéro, il a dû
surmonter nombre d'écueils pour mener à bien son projet.
D'abord du financement : « Neuf banques sur dix ont refusé ma
demande de crédit immobilier, alors que mon dossier tenait la route »,
se souvient-il, convaincu que ses origines y ont été pour quelque chose.
Autre casse-tête : le choix du local professionnel (un appartement qu'il
a retapé en cabinet), censé respecter les critères d'aménagement édictés
par le code de déontologie. Et surtout, il a fallu se créer sa propre clientèle.
En 2001, Ermont comptait déjà deux psychiatres libéraux. En envoyant des
patients au Dr Baldé, l'hôpital l'a aidé au départ. Le courrier de
courtoisie envoyé à quelque trois cents confrères et, surtout, « le
bouche-à-oreille » ont fait le reste. « Ayant atteint ma
vitesse de croisière au bout de six mois, j'ai pu cesser les gardes que je
prenais à l'hôpital pour assurer mes arrières. Aujourd'hui, ma liste de
rendez-vous est pleine sur deux mois, une vraie réussite. » Deux
ans après son installation, le Dr Baldé n'est « pas riche »,
mais « fier d'avoir payé toutes ses charges professionnelles sans
emprunt ».
En tant qu'ancien assistant des hôpitaux, le Dr Baldé a opté pour le
secteur II. Ses tarifs (63 euros la consultation de 40 minutes)
n'ont pas, semble-t-il, rebuté les habitants d'Ermont. « Pourtant,
reconnaît-il, avec mes origines, ce n'était pas gagné. A l'hôpital, ça
ne posait pas de problème. Mais, en ville, j'ignorais vraiment comment on
allait m'accepter. A ma grande surprise, j'y ai été mieux reconnu. La
psychiatrie à Dakar est très sociale, tournée vers la famille. J'en ai gardé
une pratique de la médecine humaniste et humble. Je crois que cet élément a
joué auprès de ma clientèle. » A-t-il eu un jour à faire face à
des réactions xénophobes à son cabinet ? « Jamais. La plupart
de mes patients sont français de souche, ils m'acceptent très bien.
D'ailleurs, je m'en suis inquiété au départ : allais-je tout de même
recevoir quelques cousins africains ? », raconte-t-il en riant.
Comblé, chanceux... Le Dr Baldé peut ajouter un mot à sa liste :
fier du défi relevé. « On ne m'a toujours pas accordé la
nationalité française, j'ai donc réussi mon intégration en étant sénégalais.
C'est vrai, j'en suis d'autant plus fier. »
Delphine CHARDON