22 au 28
janvier 2005
Par Natatacha Polony
Ils sont 8 000 médecins étrangers à faire fonctionner la machine
hospitalière française. Sans être reconnus.
La nuit, aux urgences chirurgicales d'un grand hôpital parisien, les
médecins qui se pressent autour des patients ont des accents venus
d'ailleurs. Ils s'appellent Karim ou Talal et ne correspondent pas vraiment
à l'idée que l'on a du chirurgien: privilégié et plutôt sûr de lui. Eux,
ils
n'ont rien pour se sentir en confiance. Sur eux, le double regard des
patients, qui doutent parfois de leurs compétences, et des infirmières, qui
leur rappellent qu'ils sont ici comme « faisant fonction d'internes ». En
clair, le système les utilise pour faire marcher la machine, alors qu'il ne
reconnaît même pas leur diplôme étranger.
Sur les 48 000 praticiens que compte l'hôpital public, ils sont environ 8
000 médecins titulaires d'un diplôme étranger à l'Union européenne (15 %
des
médecins hospitaliers, mais 25 % des urgentistes et 30 % des chirurgiens),
dont une partie seulement ont réussi à régulariser leur situation à
l'occasion des lois Veil et Kouchner de 1995 et 1999. Les autres ne sont
même pas censés être là.
Un sous-prolétariat
En effet, depuis 1999, l'hôpital public n'a plus le droit d'embaucher de
médecins étrangers. Mais, comme ils assurent plus de 50 % des gardes de
nuit - sans parler du mois d'août -, les établissements continuent de les
employer, parfois à la limite de la légalité.
Pour le Dr Ayoub Mdhafar, anesthésiste réanimateur
à l'hôpital Saint-Joseph
de Marseille et secrétaire général de la Fédération
des praticiens de santé,
qui regroupe ces médecins à diplôme étranger, « la
question est simple..
soit ces praticiens sont aptes à exercer, et l'on doit reconnaître leur
diplôme, soit ils ne le sont pas, et il est donc dangereux de les laisser
pratiquer des actes à l'hôpital ». Pour l'heure, ceux qui ont échoué
aux
différentes vagues d'examens chargés de résorber cette précarité enchaînent
des CDD de six mois pouvant prendre fin sans préavis.
Un nouveau concours, originellement prévu pour 2002, doit être organisé en
mars 2005, mais il ne propose que 200 postes pour quelque 3 800 dossiers
déjà déposés.
En attendant, le sous- prolétariat hospitalier, « non évalué, parfois mal
formé », comme le dénonçait en décembre 2003 une lettre ouverte de 240
professeurs de médecine au ministre de la Santé, permet au système de tenir,
puisque les étrangers occupant la fonction d'interne sont payés trois fois
moins qu'un praticien hospitalier soit en dessous de 1500 € par mois.
Le problème naît d'une démographie médicale largement déficitaire, en
particulier dans les spécialités les plus pénibles (chirurgie,
anesthésie-réanimation...). Dans les années 80-90, le dogme était de réduire
l'offre de soins pour réduire les dépenses.
La pénurie organisée se paye aujourd'hui par le recours aux médecins
étrangers, ou par une autre forme de précarité, choisie celle-là. « Dans
nombre d'hôpitaux de province, explique une anesthésiste du CHU de
Valenciennes, on doit faire appel à des "mercenaires" .. des médecins
qui
viennent assurer des remplacements ou des gardes payés bien plus cher qu'un
poste fixe. Il yen a même qui exercent dans un hôpital et utilisent leur
repos de sécurité [les lendemains de gardes, où les médecins ont
interdiction de pratiquer des gestes cliniques] pour faire des remplacements
ailleurs... en toute illégalité, bien sûr».
Ici, le service des urgences de l'hôpital Nord de Marseille Plus de 15% des
médecins hospitaliers, 25 % des urgentistes et 30 % des chirurgiens
possèdent des diplômes étrangers.