N° 9 - Novembre 2001
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Les
praticiens adjoints contractuels
Parmi les nombreuses
difficultés d'exercice actuellement rencontrées par toutes les catégories de
praticiens hospitaliers, on entend souvent parler des PAC, ces praticiens
adjoints contractuels possesseurs d'un diplôme étranger, comme d'un groupe
particulièrement insatisfait de ses conditions de travail. Après s'être fait
l'écho de leurs revendications, le Bulletin a décidé de braquer ses
projecteurs sur l'un d'eux.
Abdou Chami est gynécologue- obstétricien
au centre hospitalier d'Haguenau, près de Strasbourg : un établissement où il
est arrivé voici quatorze ans.
" J'étais venu à la faculté de Strasbourg pour faire ma spécialité,
explique-t-il. Je comptais bien évidemment repartir pour le Maroc, mon pays
d'origine, tout de suite après. Mais la dernière année, j'ai rencontré ma
femme, une Française, elle aussi médecin
et cela a bouleversé mes projets.
J'ai eu des enfants, j'ai acquis la nationalité française et je suis resté à
l'hôpital d'Hagueneau. "
Une situation précaire
Le Dr Chami l'affirme : il s'y sent parfaitement heureux sur le plan
professionnel. Mais il ne cache pas que sur le plan administratif et financier,
ce n'est pas la même chose ! En effet, à quarante ans, et en dépit d'un
curriculum vitae bien rempli, il exerce toujours dans une situation précaire.
D'où son impatience
" J'ai d'abord exercé bénévolement pendant deux années en tant
qu'interne, raconte-t-il. À ce moment-là, on me disait que je devais déjà
m'estimer satisfait puisqu'on me formait. Ensuite, j'ai exercé comme vacataire
pendant cinq ans. J'allais de vacation en vacation pour 6 000 francs par mois.
J'étais moins bien payé qu'une aide-soignante ou qu'une infirmière ! Pour
arrondir mes fins de mois, je multipliais les gardes : jusqu'à vingt par mois.
Aussi, lorsqu'en 1997 la possibilité de passer le concours de PAC s'est présentée,
j'ai sauté sur l'occasion. C'était l'opportunité de sortir enfin de cette
situation précaire. "
De fait, reçu au concours en mars, le Dr Chami n'aurait dû avoir aucun problème
puisque aussitôt, un poste a été créé pour lui dans le service de gynécologie-obstétrique
de l'hôpital d'Haguenau. Mais une certaine lenteur administrative, qu'il soupçonne
d'avoir été assortie, à l'époque, d'une évidente mauvaise volonté, l'a
pourtant obligé à attendre encore près d'une année avant de pouvoir exercer
officiellement sous le statut de praticien adjoint contractuel. Ce n'est en
effet qu'en février 1998 qu'il a vu son salaire amélioré et son poste
contractualisé. Pour la stabilité, il lui faudra encore patienter quelques années
" Ma situation est encore loin d'être idéale, explique-t-il. Je reste
moins bien rémunéré qu'un praticien hospitalier pour le même travail. Ce qui
me semble profondément injuste. Et surtout, je ne suis toujours pas sorti de la
précarité. Le contrat de PAC est valable trois ans et son renouvellement reste
aléatoire, ne l'oublions pas. Dans mon cas, par exemple, lorsque mon patron
actuel, avec qui les choses se passent très bien, partira à la retraite, il
suffirait qu'il soit remplacé par une personne à qui ma tête ne revient pas,
pour que je me retrouve à la rue demain. "
En réalité, il y a très peu de risque pour qu'Abdou Chami se retrouve dans
une situation critique. Et cela, pour plusieurs raisons. D'abord, parce qu'il
fait partie de ceux qui ont vu leur diplôme de spécialité validé par la
commission de qualification. Rien ne l'empêcherait donc d'ouvrir un cabinet de
gynécologue-obstétricien en ville s'il le souhaitait.
" Mais cela ne m'intéresse pas, dit-il. Si vraiment je me trouvais
contraint de choisir cette option, alors je préférerais rentrer au Maroc et
poser ma plaque là-bas. Non, ce que je veux, moi, c'est continuer à exercer à
l'hôpital d'Haguenau où je me suis investi sentimentalement et
professionnellement depuis quatorze ans
J'aime travailler en milieu
hospitalier, j'aime opérer. Je veux pouvoir continuer à traiter des patientes
qui présentent des pathologies diverses, de la plus bénigne à la plus lourde.
Ce n'est certes pas parce qu'on y gagne merveilleusement bien sa vie. Mais sur
le plan de la pratique médicale, je ne connais pas d'activité plus riche et
plus variée. On aborde toutes sortes de problèmes et on est en permance en
contact direct avec l'information la plus récente. "
Praticien hospitalier dans l'âme
LC'est bien pour cela, pour pouvoir poursuivre ce travail à l'hôpital dans de
bonnes conditions, qu'Abdou Chami a tenu, l'an dernier, à passer le concours de
praticien hospitalier. Ayant été reçu, il attend désormais que son poste de
PAC soit transformé en poste de PH. Mais, une fois de plus, il constate avec
amertume que " l'administration traîne les pieds ". " Visiblement,
en Alsace, les priorités de l'agence régionale d'hospitalisation se situent
ailleurs
J'avoue que, parfois, l'envie de plier bagage est très forte. Mais
ces moments de découragement ne durent jamais bien longtemps ; ils s'effacent
lorsque je me trouve à l'hôpital, face à mes patientes. Vous savez, certaines
ne parlent qu'alsacien et pourtant, c'est à moi, le Dr Chami, qu'elles font
confiance. C'est par moi qu'elles veulent être suivies. Elles ne s'intéressent
ni à mon passeport, ni à ma carte de séjour, ni à la couleur de mon diplôme.
Pour moi, ce bonheur-là balaie tout le reste. "
Le fait est que le Dr Chami qui - peut-être faut-il le préciser - parle un
français impeccable, sans la moindre trace d'accent, ne semble avoir aucune
difficulté à remplir ses consultations : " J'en ai trois par semaine
et, modestie mise à part, si demain vous appelez le service, le secrétariat
risque de ne pas vous donner de rendez-vous avant six à huit semaines
", dit-il fièrement, attribuant ce " succès " au bouche à
oreille.
Reconnaissance professionnelle
RMais sa plus grande fierté, c'est d'avoir parmi ses patientes le personnel féminin
de l'hôpital : " Il y a bien longtemps, mon patron m'avait expliqué
que je pourrais vraiment parler de reconnaissance professionnelle le jour où
les infirmières, les aides-soignantes, les secrétaires de l'hôpital
viendraient se faire soigner chez moi. Eh bien, c'est ce qui se passe
aujourd'hui. "
Ses origines marocaines n'auraient donc nullement entravé son parcours
professionnel ? Il l'admet volontiers ; cependant, il met un léger bémol à
cette réponse positive :
" Il est vrai que j'ai eu la chance de travailler successivement avec
deux chefs de service très ouverts, très tolérants et acceptant bien les
minorités, raconte-t-il. Les relations ont également été bonnes avec les
autres praticiens. Je peux donc dire que j'ai réussi à faire ma place à l'hôpital
sans problème particulier. Mais je pense que je le dois en partie à mon bon
cursus. Car un PAC, s'il veut être accepté, doit se montrer meilleur que les
autres. Plus rigoureux, plus travailleur
"
Abdou Chami refuse d'autant plus de verser dans l'angélisme qu'il lui est déjà
arrivé d'entendre des réflexions désagréables sur ses origines. Surtout les
premières années.
" Lorsque j'étais interne, des phrases du genre "Mais pour qui il
se prend, cet Arabe, pour nous donner des ordres ?" n'étaient pas rares,
se souvient-il. Peut-être certains le pensent-ils encore, d'ailleurs, mais au
moins, ils n'osent plus le dire ! " Comment laisser tomber ses défenses
lorsque l'on sait que les vexations peuvent toujours revenir insidieusement ?
Ainsi, lorsqu'il a présenté son dossier de demande de qualification, le
rapporteur, trouvant son CV sans doute un peu trop exemplaire, a appelé son
patron, à Haguenau, pour savoir " si tout cela était bien vrai
". " Comme s'il y avait une anomalie à ce qu'un médecin d'origine
étrangère présente un bon curriculum vitae ", remarque, irrité, le
Dr Chami.
Reste le plus important. Ce qui compte plus que tout pour lui : pouvoir
continuer à exercer le métier qu'il aime, dans le service où il a su se faire
apprécier de ses patientes et de ses confrères. Et à l'exercer avec
l'assurance d'une stabilité et avec un salaire correspondant à ses
qualifications. Un souhait qui, somme toute, à l'orée de la quarantaine et après
quatorze ans de bons et loyaux services dans le même établissement, se conçoit
aisément.
Propos recueillis par Arlette Chabrol
Les
revendications des PAC
Il semble clair, aujourd'hui, que tous les praticiens adjoints contractuels ne
pourront pas devenir praticiens hospitaliers. Aussi le Syndicat national des
PAC, le SNPAC, réclame-t-il une pérennisation de leurs contrats. Autrement
dit, il souhaite que ces contrats ne soient plus soumis à renouvellement tous
les trois ans.
Par ailleurs, le SNPAC poursuit sa revendication de voir inscrite, par un décret
officiel, la qualification de tous les spécialistes et demande une
revalorisation des salaires.