Article du 28-Fév-2005 par Karine PIGANEAU |
Médecins à diplôme étranger
La France recrute jusqu'au 16 mars
Arrêtée dans son principe il y a
près de six ans, la nouvelle procédure de recrutement des médecins diplômés
hors de l'Union européenne voit effectivement le jour cette semaine. D'ici au
16 mars, 140 chirurgiens, biologistes, psychiatres... vont être intégrés
par ce biais dans le système de soins français. Mais des milliers de
praticiens sont en attente de régularisation.
NOMBRE DE CANDIDATS : 2 995.
Nombre de places offertes : 140. Taux de réussite : moins de 5 %.
« Le concours le plus sélectif de la République », ironise
un praticien hospitalier, va commencer demain à Toulouse (1). Il s'agit de la
nouvelle procédure de recrutement des médecins diplômés hors de l'Union
européenne, promise depuis juillet 1999, date à laquelle son principe a été
inscrit dans la loi à l'instigation de Bernard Kouchner.
Les candidats vont être soumis à trois épreuves écrites et anonymes :
une épreuve de vérification de leurs connaissances fondamentales ; une épreuve
de vérification de leurs connaissances pratiques à partir d'un cas clinique ;
une épreuve écrite de maîtrise de la langue française. Le classement, à
l'issue du concours, éliminera ceux qui n'auront pas obtenu la moyenne et ceux
qui auront obtenu une note inférieure ou égale à six sur vingt à une des épreuves.
Aux meilleurs iront les postes ouverts pour la circonstance (10 en radiologie,
15 en psychiatrie, 20 en pédiatrie, 30 en gynécologie-obstétrique...) ;
ils seront recrutés à temps plein pour travailler dans les hôpitaux pendant
trois ans - moins dans certains cas, selon leurs états de service antérieurs -
en tant qu'assistant généraliste associé ou d'assistant spécialiste associé ;
à l'issue de ces trois ans, une commission rendra au ministre de la Santé, sur
la base d'un rapport d'évaluation remis par leur chef de service, un avis
favorable ou non pour les autoriser à exercer la médecine (et donc à
s'installer en ville ou bien à passer le concours de PH).
Et les collés - cette année, ils seront tout de même plus de 2 800 - ?
Ils pourront tenter leur chance trois autres fois - les épreuves seront désormais
organisées tous les ans -, mais s'ils échouent, sauf exception, ils ne
pourront pas continuer à exercer dans les hôpitaux français.
Logique.
Inventée à l'origine pour les
nouveaux arrivants, cette procédure avait le mérite de la logique, ainsi que
le souligne le Dr Jamil Amhis, président de la FPS
(Fédération des praticiens de santé, qui représente l'ensemble des médecins
à diplôme extra-européen) : « Il est bien que, quand un médecin
arrive en France, les choses soient claires. Il y a un contrôle des
connaissances suivi d'une embauche avec un bon statut, et non plus l'inverse (on
fait travailler, puis on contrôle les compétences avant de donner un statut). »
Et ce qui vaut du point de vue des médecins postulants vaut aussi du point
de vue du système « intégrateur », l'idée des pouvoirs publics étant
de recruter selon les besoins ponctuels des hôpitaux.
Mais le processus qui s'enclenche demain se heurte à plusieurs écueils.
Premier écueil : le profil des candidats à la nouvelle procédure n'est
pas celui qui est escompté. La grande majorité n'est pas fraîchement débarquée
sur le sol français. Cela tient à l'histoire de l'intégration des médecins
étrangers - les circuits qui existaient avant 1999 et qui ont permis de régulariser
quelque 7 500 praticiens ont laissé sur le bord de la route un
millier de médecins, dont beaucoup sont toujours présents à ce jour dans les
hôpitaux - et à la lenteur d'élaboration des nouvelles règles du
recrutement. Car, en théorie, à partir de 1999, les hôpitaux ne pouvaient
plus engager de médecins à diplôme étranger. Postes vacants et déficit démographique
obligent, ils l'ont quand même fait et dans des proportions non négligeables. « Ils
ont trouvé des artifices pour contourner la loi », explique Jamil
Amhis. Le Dr François Aubart, qui préside la CMH (Coordination médicale
hospitalière), confirme : « Non seulement le flux n'a pas cessé,
mais il a été organisé. Des médecins se sont installés, ils ont acquis une
légitimité naturelle. Et on retrouve la situation névrotique qui était celle
des années 1990, quand 8 000 praticiens étaient sur le carreau. »
Trop tard
et trop peu.
Cette fois-ci, 2 000 médecins
auraient rallié le système en moins de six ans. Avec ceux d'avant 1999, tous
ces « anciens » vont constituer le gros des troupes des candidats à
une nouvelle procédure qui, même si certains de ses critères ont été
assouplis, n'a pas été inventée pour eux. Une procédure qui, étant donnée
la situation, arrive trop tard et propose trop peu. Car même si tous les médecins
à diplôme étranger actuellement en poste sans statut n'ont sans doute pas le
niveau de compétence requis, le système de soins les utilise et continuera à
les utiliser, il ne faut pas se voiler la face, même s'ils échouent aux
nouvelles épreuves.
Cette jeune Syrienne de 34 ans, faisant fonction d'interne dans un hôpital
francilien depuis quatre ans et n'ayant « jamais eu de problème pour
trouver un poste », est amère. Spécialisée en rééducation
fonctionnelle, elle va passer le concours en gériatrie, le 16 mars à
Strasbourg. Il y aura un millier de candidats pour 13 places. Révisant
dur, parce qu'elle ne concourt pas dans sa spécialité, qui n'a pas été prévue
pour cette session 2005, elle trouve la situation « un peu bizarre » :
« Il ne faut pas laisser tant de médecins préparer un examen pour si
peu de postes ! » Ukrainien, en France depuis 13 ans,
aujourd'hui praticien attaché associé, cet autre médecin ne se présentera même
pas aux épreuves. Dans sa spécialité (la chirurgie orthopédique), il n'y a
que cinq places. « C'est frustrant. » Hypersollicité par le
système (travaillant beaucoup pour un salaire mensuel qui oscille entre 2 500
et 3 500 euros, il refuse toutefois 70 % des gardes qui lui sont
proposées), ce chirurgien se sent un peu trahi - « J'ai rempli
des fonctions, je suis comme les autres, je participe à la vie de l'hôpital » -
et n'exclut pas, à 44 ans, d'aller tenter sa chance ailleurs, en
Allemagne, par exemple.
Pavée de bonnes intentions, la route qui a mené à la nouvelle procédure de
recrutement des médecins à diplôme étranger a en partie raté son but. La
faute au manque de volontarisme des pouvoirs publics en matière de démographie
médicale, si l'on en croit François Aubart : « C'est parce qu'on
n'a pas lancé une politique dans ce domaine que l'on subit (et les médecins à
diplôme étranger sont les premiers à en faire les frais) les conséquences
d'un "laisser faire n'importe quoi" », s'indigne-t-il. Une
opinion que partagent les internes : « Les choses étant ce
qu'elles sont, pourquoi ne pas recruter, à niveau de compétence égal et en vérifiant
leur niveau de langue, des médecins diplômés hors Union européenne. Mais il
est aberrant de nous avoir barré la route d'accès à des spécialités ou même
à la médecine si c'était pour en arriver là », constate Raphaël
Grossier, vice-président de l'Isnih (Intersyndicat national des internes des hôpitaux).
> KARINE PIGANEAU
(1) Cette session concerne la chirurgie et la biologie médicale. Le 11 mars à Orléans, ce sera le tour de la psychiatrie et le 16 mars à Strasbourg celui de la médecine.